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Sociétés en période de formation : une jurisprudence plus flexible

Récemment, la Cour de cassation a pris des positions inédites concernant la capacité juridique des sociétés pendant leur période de formation.

Le cabinet LAWREA revient sur quatre arrêts notables rendus par la Chambre commerciale le 29 novembre 2023.

Dans trois arrêts du 29 novembre 2023[1], la Chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence pragmatique concernant les actes passés au nom et pour le compte d’une société en formation, c’est-à-dire préalablement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS).

On sait qu’avant son immatriculation au RCS, une société n’a pas la personnalité morale, si bien qu’elle ne peut ni contracter, ni ester en justice en son nom.

Or, pendant la période de formation, les fondateurs réalisent toutes les démarches permettant de mettre en place la vie active de la société, ce qui nécessite de conclure différentes conventions, comme un bail commercial par exemple.

Aussi, les cocontractants approchés par les fondateurs doivent avoir la certitude d’un acte juridique valablement formé dont les effets contractuels sont assurés après l’immatriculation de la société.

Pour ne pas bloquer les fondateurs dans leurs démarches et assurer la sécurité juridique des actes passés pendant la période de formation, la loi permet aux associés fondateurs, à travers les articles 1843 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce (dont les dispositions sont tout-à-fait similaires) d’agir, dans les actes passés, au nom de la société en formation avant son immatriculation, à charge de faire reprendre par la société, après son immatriculation, les actes ainsi accomplis, lesquels sont alors réputés avoir été passés dès l’origine par la société.

Le législateur permet ainsi une substitution rétroactive de la société à la personne ayant passé les actes en son nom pendant la période antérieure à son immatriculation.

Cependant, à défaut de reprise, les personnes ayant souscrits les actes pour la société sont tenus personnellement des obligations qui y sont prévues, avec solidarité si la société est commerciale et sans solidarité dans les autres cas.

Les articles R. 210-5 du Code de commerce et suivants prévoient les différentes modalités de reprise des actes[2].

Un abondant contentieux s’est développé sur le sujet, avec comme enjeu récurrent le fait de savoir si l’acte litigieux passé pour le compte de la société en formation était susceptible d’être repris au nom de la société, et si in fine, cette dernière était bel et bien engagée juridiquement.

Désireuse de protéger les tiers cocontractants, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a appliqué pendant plusieurs décennies, et de manière rigoureuse, le principe selon lequel les actes signés avant l’immatriculation devaient être expressément conclus «au nom» ou «pour le compte» de la société en formation pour qu’ils soient valablement repris par cette dernière, puis exécutés par elle [3].

A contrario, l’acte passé par ses fondateurs « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation était valide mais, s’il n’était pas repris par la société, il engageait la personne ayant agi au nom ou pour le compte de la société conformément aux articles 1843 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce.

Quant aux actes souscrits par la société elle-même en formation, ils étaient frappés de nullité absolue et par conséquent ni la société, ni ses associés ou dirigeants n’étaient tenus d’exécuter les engagements de l’acte[4].

Au final, bon nombre de cocontractants insuffisamment attentifs à la comparution de leur acte voyaient ce dernier annulé en cas de litige et se retrouvaient alors dépourvus de tout débiteur.

A l’inverse, des cocontractants de mauvaise foi ont pu parfois sciemment se soustraire à leurs engagements à l’égard d’une société en formation.

Depuis trois arrêts du 29 novembre 2023 de la Cour de cassation, les règles se sont assouplies.

La Chambre commerciale opère un revirement et énonce que, dans la mesure où la loi n’exige pas que la mention « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation soit insérée aux actes signés avant son immatriculation, « il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation. »

Si cette commune intention est constatée, l’acte sera valide et sa reprise pourra être valablement faite par les associés de la société, une fois immatriculée au RCS, pour qu’il engage définitivement la société.

En effet, la Cour de cassation ne semble pas remettre en cause le principe de la reprise des actes, notamment par une décision des associés après l’immatriculation au RCS, si bien que cette étape devrait rester indispensable pour engager la société. Des arrêts postérieurs devront le confirmer.

La Haute Juridiction précise également à cette occasion que la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas que la société immatriculée revête la forme sociale et comporte les associés éventuellement mentionnés dans l’acte litigieux, sauf cas de dol ou de fraude.

Flexible et pragmatique, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ouvre donc la voie à une appréciation in concreto dans le cadre de la résolution des contentieux portant sur les actes passés pendant la période de formation des sociétés, avec un pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Notons également que, toujours le 29 novembre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé dans un arrêt « Sté Les Pettoreaux d’Arbois c/ Sté Natacha »[5] que les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation au RCS et ce, quand bien même l’attribution du numéro Siren par les services de l’Insee ne serait pas encore réalisée.

Partant, dès son immatriculation, une société dispose de la capacité juridique pour contracter, conformément aux dispositions de l’article 1842 du Code civil, le numéro Siren n’étant « destiné qu’à l’identification de la société » selon la Cour de cassation.

Cette décision a permis à une société de ne pas voir annulée une promesse synallagmatique de vente et d’achat d’un bien signée auprès d’une société civile immobilière alors que l’attribution de son numéro Siren n’était pas encore effective.

 

[1] Cass. com. 29/11/2023 n° 22-12.865 FS-BR, Sté Bypa c/ Sté Fayett Valley

Cass. com. 29/11/2023 n° 22-18.295 FS-BR, X c/ Sté Mja

Cass. com. 29/11/2023 n° 22-21.623 FS-BR, X c/ Sté Holding BSP

[2] Comme annexer aux statuts constitutifs un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, ou encore, pour les associés, le fait de de donner mandat, dans les statuts, au dirigeant pour passer certains actes : la reprise est alors automatique. Les associés peuvent également prendre une décision de reprise des actes après l’immatriculation de la société.

[3] Pour des exemples : Cass. com. 21/2/2012 n° 10-27.630 F-PB ; Cass. com. 10/3/2021 n° 19-15.618.

[4] Pour un exemple : Cass. com. 19/1/2022 n° 20-13.719 F-D

[5]    Cass. com. arrêt n° 22-16.463 F-B, Sté Les Pettoreaux d’Arbois c/ Sté Natacha