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La société, un contrat pas comme les autres

Dans un arrêt du 7 décembre 2023[1], la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation a rejeté l’argumentaire d’un associé minoritaire qui, par son vote négatif en assemblée générale extraordinaire, avait empêché la prorogation de la durée d’une société civile immobilière dont le terme statutaire allait arriver à échéance.

Poursuivi par les autres associés pour abus de minorité et annulation de l’assemblée générale, l’associé minoritaire tentait de justifier que son vote n’était pas abusif puisque nul ne peut exiger le renouvellement d’un contrat à durée déterminée (article 1212 alinéa 2 du Code civil) et qu’un accord des parties est nécessaire pour renouveler un contrat à durée déterminée (article 1214 alinéa 1er du même Code).

Ainsi, l’associé minoritaire assimilait la prorogation de la durée d’une société au simple renouvellement d’un contrat en estimant que la règle générale du droit des contrats s’appliquait au contrat de société, ce qui était assez inédit comme argumentation.

Ceci ne pouvait être retenu puisque les sociétés, dont la constitution prend effectivement la forme d’un contrat signé par les associés, sont régies par les règles spéciales du droit des sociétés issues du Code civil ou du Code de commerce selon leur forme sociale.

Ces règles spéciales sont incompatibles avec celles du Code civil sur le renouvellement des contrats, dont ceux à durée déterminée : le renouvellement du contrat à durée déterminée se fait sans formalisme particulier, si ce n’est la matérialisation de l’accord des parties (article 1214 alinéa 1er du Code civil). En outre, le renouvellement du contrat à durée déterminée donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée (article 1214 alinéa 2).

La prorogation de la durée d’une société suppose quant à elle un processus bien particulier, savoir une consultation des associés qui prend la forme d’une assemblée générale extraordinaire au cours de laquelle les associés votent la prorogation à l’unanimité, sauf si les statuts prévoient un vote à la majorité prévue pour les modifications statutaires. Cette assemblée doit être tenue « un an au moins avant la date d’expiration de la société » et une procédure spécifique est prévue en cas de carence dans ces démarches (article 1844-6 du Code civil).

Également, la prorogation de la société, lorsqu’elle est votée par ses associés, ne crée par un être moral nouveau : elle reconduit la durée de la société, avec un nouveau terme.

La Cour de cassation a ainsi, comme la Cour d’appel, recentré les débats sur la question de la caractérisation de l’abus de minorité, lequel était ici bien existant compte-tenu des faits de l’espèce : le vote négatif de l’associé minoritaire avait ainsi pour unique objet de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des autres associés et il était de l’ intérêt général de la société que celle-ci soit prorogée.

L’assemblée générale a donc été annulée, permettant à la société de poursuivre sa vie…sans doute avec quelques dissensions entre associés.

[1] N° 22-18.665 FS-B