Baux commerciaux et Covid-19

Published 11/27/2020

La pandémie de Covid-19 et sa crise économique y attachée, nous amène à faire un état des possibilités d’optimisation et d’équilibre dans les rapports locatifs commerciaux qui s’avèrent de plus en plus tendus au regard notamment de la fermeture de commerces.

 

Ainsi, le législateur est intervenu cette année pour assouplir les modalités de paiement des loyers commerciaux et certaines autres demandes peuvent être adressées par les preneurs pour diminuer leur loyer (I).

Par ailleurs, le droit des contrats et le droit commercial nous permettent d’anticiper des évènements perturbateurs futurs en introduisant des clauses pertinentes dans le contrat de bail commercial (II).

Des aménagements s’avèreront forcément nécessaires au regard de la crise économique, mais la jurisprudence récente, malgré la situation de crise, s’avère relativement sévère à l’égard des locataires en difficulté de trésorerie (III)

Enfin, serait mis en place très prochainement, un véritable coup de pouce fiscal sous la forme de crédit d’impôt (IV).

I - Les demandes inhérentes au loyer

  • La demande de délai de paiement ou de report de loyer

L’ordonnance numéro 2020–316 du 25 mars 2020 prévoit cette modalité.

Sont concernées les personnes physiques et morales exerçant une activité économique, particulièrement touchées par les conséquences de la propagation du Covid-19 (bénéficiaires du fonds de solidarité c’est-à-dire ayant moins de 10 salariés, un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice de moins de 60 000 €).

Concrètement, cette « immunité » temporaire signifie que le retard dans le paiement est sans conséquences juridiques ou financières pour le preneur : absence de pénalité financière ou d’intérêts de retard, de dommages et intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire ou d’activation des garanties.  

Cette mesure afférente au paiement des loyers et des charges des locaux commerciaux ne prévoit donc pas véritablement de possibilité de report ou d’étalement, mais simplement une suppression des sanctions attachées à leur non-paiement.

  • La demande de franchise / remise de loyer

L’objectif est d’exonérer purement et simplement le preneur du paiement d’un à plusieurs mois de loyer ou d’une partie de ce même loyer avec ou sans contrepartie.

Dans ce cas de demande d’abandon de loyer, il conviendra de rédiger un écrit entre les parties en prévoyant notamment dans le détail, le nombre de mois ou de trimestres offerts par le bailleur et d’y annexer un échéancier précis quand le loyer à taux plein recommencera à être dû par le preneur.

Comme nous le verrons ci-après, le législateur est en train d’instaurer une incitation fiscale à l’abandon de loyer sous forme de crédit d’impôt.

  • La demande de réduction permanente du loyer

L’article L.145-38 du Code de commerce permet au preneur d’obtenir une révision de son loyer à la baisse.

La demande de réduction se motive sur le décalage entre le loyer payé et la valeur locative, étant entendu comme le prix de marché des locaux.

Dans ce cas, il y a une contrainte de temps, puisqu’elle interviendra, soit au moment de la révision triennale, si le preneur démontre une variation de plus de 10 % des facteurs locaux de commercialité, soit au moment du renouvellement.

La demande de révision devra être faite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par un acte d’huissier (la date de la demande sera le cas échéant la date d’effet du nouveau loyer) et elle doit comporter l’indication du nouveau loyer proposé.

Dans tous les cas, visées ci-dessus, il conviendra de formaliser l’accord entre bailleur et preneur par la rédaction d’un avenant ou d’un nouveau bail qui se substituera au précédent.

II – Les clauses possibles à introduire dans le contrat de bail

Le changement de donne économique doit amener bailleurs et preneurs à anticiper et solutionner les événements non prévisibles en insérant des clauses particulières dans le contrat de bail.

  • La clause d’imprévision

Cette clause permet aux parties de renégocier les termes du bail en cas de changement de circonstances imprévues.

L’imprévision est prévue dans le Code civil (article 1195) qui stipule que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. »

L’intérêt de l’insertion dans le bail de la clause d’imprévision est de ne pas recourir au juge et de l’adapter à sa situation contractuelle.

Il est possible pour le locataire d’invoquer un risque imprévisible comme l'actuelle pandémie pour tenter une renégociation à l’amiable au contrat et à défaut, pour saisir le juge d’une résiliation ou d’une révision.

  • La clause de force majeure

Comme en matière d’imprévision, l’insertion dans le contrat d’une clause de force majeure listant avec précision les événements concernés et les conséquences sur le bail, notamment la résolution ou la suspension, peut s’avérer utile.

Néanmoins, comme nous le verrons ci-après, la jurisprudence reste très stricte relativement à la théorie de la force majeure.

  • La clause permettant l’ajustement du loyer à l’activité du preneur

Le changement de mode de calcul du loyer en introduisant une clause recette peut revêtir un intérêt dans des situations telles que la pandémie de Covid-19.

Deux modalités se déclinent :

- Soit le loyer est totalement relié au chiffre d’affaires dont il va représenter un pourcentage généralement dégressif.

- Soit le loyer est composé d’une partie fixe et d’une partie variable ; cette dernière varie alors en fonction du chiffre d’affaires du preneur (loyer binaire)

Le passage à un loyer binaire offre l’avantage d’ajuster le loyer à l’activité économique du preneur et d’associer le bailleur au résultat de celle-ci.

III - Point jurisprudentiel récent sur le non-paiement des loyers commerciaux

Dans deux affaires récentes, le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris s’est prononcé sur des demandes en paiement de loyers commerciaux dus pendant la première période de confinement et nous apporte des éléments de réponses :

- Le locataire peut-il invoquer la force majeure pour s’exonérer du paiement de ses loyers ?

Le juge répond négativement, relevant que « s’agissant d’une obligation de somme d’argent, le moyen tiré de la force majeure, ou de la théorie des risques, soulevé par la société demanderesse pour solliciter la suspension de ses loyers pendant la période juridiquement protégée est inopérant. »

- Le locataire peut-il invoquer le défaut de délivrance du bien loué (du fait de la fermeture administrative des commerces) par le bailleur pour ne pas payer son loyer ?

Le juge précise que « le contexte sanitaire ne saurait en lui-même générer un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance du bien loué. Ces circonstances ne lui étant pas imputables » et répond également négativement.

Ainsi, il ressort pour l’heure de la jurisprudence du fond, une relative sévérité à l’égard des locataires en situation d’incapacité de régler leur loyer.

IV - Instauration d’un crédit d’impôt de 30 ou 50 % visant à inciter les bailleurs à renoncer à une partie de leurs loyers.

Cette mesure sera introduite dans le projet de loi de finances pour 2021. A ce jour, (le 20 novembre 2020), le texte n’a pas été publié.

Cette mesure bénéficierait aux entreprises de moins de 250 salariés, fermées administrativement ou appartenant au secteur hôtellerie, cafés, restauration (HCR) : Tout bailleur qui sur les mois d’octobre, novembre et décembre 2020, accepterait de renoncer à au moins un mois de loyer, pourrait bénéficier d’un crédit d’impôt de 30% du montant des loyers abandonnés. Toutefois, d’après les dernières déclarations du gouvernement, ce crédit d’impôt pourrait être porté à 50%.

Cette mesure est la seconde mise en œuvre par le législateur pour inciter les bailleurs à abandonner une partie de leurs loyers.

Pour rappel, la seconde loi de finances rectificative pour 2020, adoptée en avril dernier, autorise les bailleurs qui consentent des abandons de loyers entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2020, à déduire ces abandons de leur bénéfice imposable lorsqu’ils relèvent des bénéfices industriels et commerciaux ou à ne pas intégrer les loyers auxquels ils ont renoncé dans leurs revenus imposables, lorsqu’ils sont imposés dans la catégorie des revenus fonciers ou des bénéfices non commerciaux.

La question de l’articulation et de l’éventuel cumul des deux mesures n’est à ce jour pas réglée.

L’effet de la pandémie sur les rapports locatifs est très important puisque la crise économique perdure et pose la question de la soutenabilité de certains loyers.

A plus long terme, les changements de comportements liés notamment au développement du commerce en ligne et du télétravail risquent de changer le rapport d’équilibre entre bailleur et locataire.

Par conséquent, cette nouvelle situation doit nous amener à plus de négociation et d’anticipation, la législation des baux commerciaux le permettant, nonobstant sa relative rigidité.

 

Concluons sur le fait qu’il convient toujours de privilégier la solution de règlement amiable et/ou conventionnelle soit par la rédaction d’un avenant ou par la signature d’un nouveau bail entre les parties, plutôt qu’un contentieux.

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