Retour sur la loi ESSOC (Loi pour un État au service d'une société de confiance)

Published 02/22/2021

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC)  a été adoptée le 31 juillet 2018.

Déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, ce texte avait pour objectif d’instaurer le principe du "droit à l'erreur" et portait « une série de dispositions concrètes s'inscrivant dans la démarche de transformation de l'action publique" ».

Avec le recul, il nous a paru intéressant de revenir sur certaines garanties mises en place par la loi ESSOC. Nous verrons ci-après que l’interprétation qu’en fait l’administration fiscale peut s’avérer loin des objectifs du Gouvernement.

Nous reviendrons notamment sur trois points :

- la mise en place d’une entrevue dans le cadre d’un contrôle sur pièces

Avant la loi ESSOC, seules les procédures de vérification de comptabilité, d’examen de comptabilité et d’examen de situation fiscale personnelle ouvraient droit à des recours hiérarchiques.

La loi ESSOC prévoit désormais (article L 54 C du Livre des Procédures Fiscales) le recours hiérarchique dans le cadre d’un contrôle sur pièces. Il s’agit d’une véritable avancée puisque, s’agissant d’un contrôle sur pièces, la procédure n’a, par hypothèse, fait l’objet d’aucun débat oral avec l’agent de l’administration fiscale.

La loi prévoit même que ce recours peut être effectué dans un délai très long puisqu’il peut être exercé dans le délai de recours contentieux c’est-à-dire dans le délai dont dispose le contribuable pour déposer une réclamation en vue de contester l’imposition mise à sa charge.

En règle générale, il s’agit :

- du 31 décembre de la troisième année qui suit la réception de la proposition de rectification ;

- du 31 décembre de la deuxième année qui suit la réception de l’avis d’imposition ou de l’avis de mise en recouvrement (sauf pour les impôts locaux).

La demande d’entrevue peut donc être exercée même après la mise en recouvrement des impositions supplémentaires ce qui n’est pas le cas dans le cadre des autres recours hiérarchiques. On voit donc que le législateur a voulu donner du temps au contribuable pour demander l’entrevue.

Mais, l’administration fiscale considère curieusement que si la demande d’entrevue intervient après la mise en recouvrement et qu’une réclamation est déposée, la décision prise sur cette réclamation vaudra entrevue. Ainsi, elle a précisé au BOI-CF-PGR-30-10 n°550, 30-10-2019 au N°550 :

" 2°  Demande formulée postérieurement à la mise en recouvrement

550

Toute première contestation d'une imposition formulée postérieurement à la mise en recouvrement est traitée comme une réclamation, y compris si le contribuable invoque l'article L. 54 C du LPF. "

Cette position de l’administration fiscale nous semble donc contraire à l’intention du législateur qui entendait favoriser le débat entre le contribuable et l’administration fiscale t on voit que finalement, dans cette dernière hypothèse, la loi ESSOC ne permet pas au contribuable de bénéficier d’une garantie supplémentaire.

- la mise en place à titre expérimental d’une durée de contrôle ne pouvant excéder 270 jours sur trois ans

Expérimentée dans les régions Rhône-Alpes-Auvergne et Hauts de France, les entreprises qui remplissent les conditions suivantes :

- moins de 250 salariés ;

- chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ;

ne peuvent faire l’objet de contrôles de différentes administrations sur une durée cumulée de plus de 270 jours sur une période de trois ans.

Précisons d’emblée que le texte ne prévoit aucune sanction à un contrôle qui viendrait à dépasser la durée cumulée de 270 jours. Sauf à conclure que c’est la nullité du contrôle en question, nous ne voyons pas quel serait l’intérêt de l’expérimentation.

Mais, comme nous allons le voir ci-après, ce texte nous semble dénué de tout intérêt.

En effet, la loi prévoit que la limitation de durée n’est pas opposable à l’administration « s’il existe des indices précis et concordants de manquement à une obligation légale ou règlementaire. Le législateur s’est bien gardé de définir ce qu’il entendait par là.

Dans la pratique, l’administration fiscale en conclut que si son contrôle aboutit à une rectification, ce contrôle n’est pas limité par la durée de 270 jours.

En conclusion, seuls les contribuables qui ne font l’objet d’aucune rectification peuvent invoquer la durée de 270 jours! Mais, ils n’ont alors aucun intérêt à le faire puisque le contrôle dont ils font l’objet n’aboutit à aucune rectification.

Nous sommes donc curieux de connaître les résultats de l’évaluation de l’expérimentation qui devra être transmise au parlement ...

- la mise en place d’une garantie fiscale pour les entreprises faisant l’objet d’une vérification ou d’un examen de comptabilité ou les personnes physiques qui font l’objet d’un examen contradictoire de situation fiscale personnelle

Les contribuables ne comprenaient pas que des points vérifiés au cours d’une précédente vérification de comptabilité et qui n’avaient pas fait l’objet d’aucune rectification puissent être remis en cause au cours d’une nouvelle vérification postérieure.

En effet, l’adage « qui ne dit mot consent » n’était pas applicable en matière fiscale.

La loi ESSOC prévoit désormais (article L 80 A 2ème alinéa du LPF) que l’administration fiscale ne peut procéder à aucun réhaussement d’impositions antérieures lorsqu’elle a pris position sur des points y compris tacitement au cours d’un précédent contrôle.

L’administration fiscale a désormais l’obligation d’indiquer dans la proposition de rectification les points qu’elle a contrôlés et qui ne donnent lieu à aucune rectification de sa part. Il s’agit donc d’une avancée notable.

Toutefois, la mention expresse des points contrôlés est laissée à l’appréciation du vérificateur et il n’est donc pas possible de s’assurer que tous les points contrôlés par le vérificateur sont bien indiqués par ce dernier.

En outre, le texte réserve cette garantie au cas où le vérificateur a pu « se prononcer en toute connaissance de cause ». C’est la raison pour laquelle l’administration fiscale précise dans les propositions de rectification que le «contribuable doit avoir exposé toute sa situation lors du contrôle sans omettre aucun élément ». Comment s’assurer que le vérificateur a eu à sa disposition toute l’information nécessaire à une prise de décision éclairée? On voit surtout que l’administration fiscale s’apprête déjà à vider de substance cette garantie en soutenant lors de futurs contrôles que le contribuable ne lui avait pas donné toutes les informations pour rendre une décision en toute connaissance de cause…

Enfin, se pose la question de savoir si la garantie pourra jouer pour les points qui ont donné lieu à une rectification et qui ont finalement été abandonnés dans le cadre de la discussion qui s’est engagée avec l’administration ? On ose espérer que l’administration fiscale considérera que oui ...

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