CVAE dans les groupes

Publié le 28/01/2018

Contexte de la mesure

La CVAE – qui est l’un des deux éléments constitutifs de la contribution économique territoriale (CET), l’autre étant la cotisation foncière des entreprises (CFE) - est assise sur la valeur ajoutée produite par l’entreprise au cours de l’année au titre de laquelle cette imposition est établie (art. 1586, ter, II du Code général des impôts (CGI)).

Elle est due par toute entreprise constatant un chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 500 000 € (après application du dégrèvement visé ci-après) et, en principe, est calculée au taux uniforme de 1,5 %.

Toutefois, en pratique, pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires hors-taxes inférieur à 50 M€, le taux effectivement appliqué dépend du chiffre d’affaires constaté par l’entreprise, en raison de l’application d’un dégrèvement dont le montant varie en fonction du chiffre d’affaires. En conséquence, le taux d’imposition effectivement appliqué par ces entreprises est déterminé par la formule suivante :

Cette consolidation des chiffres d’affaires, appliquée uniquement pour déterminer le dégrèvement applicables aux sociétés concernées, a été déclaré inconstitutionnelle à compter du 20 mai 2017 par le Conseil Constitutionnel, aux termes d’une décision en date du 19 mai 2017 (Cons. constit., 19 mai 2017, n° 2017-629 QPC- http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2017/2017-629-qpc/decision-n-2017-629-qpc-du-19-mai-2017.149004.html).Dans le cas de sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, sauf à ce que cette somme soit inférieure à 7,63 M€ (donc que la société mère dudit groupe ne bénéficie pas du taux réduit de l’impôt sur les sociétés), l’article 1586 quater I bis du CGI disposait jusqu’alors que le chiffre d’affaires à retenir par ces sociétés était constitué par la somme algébrique de leurs chiffres d’affaires respectifs. En d’autres termes, ce chiffre d’affaires s’appréciait au niveau du groupe fiscalement intégré pour les sociétés qui en étaient membres.

Selon le Conseil constitutionnel, aucune modification d’intérêt général ne justifiait une telle différence de traitement, à chiffre d’affaires égal, dans le calcul du taux effectif d’imposition à la CVAE entre sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré et sociétés non membres d’un tel groupe bien que satisfaisant toutes les conditions requises pour en constituer un.

En conséquence, sous réserve des délais et conditions prévues par le Livre des procédures fiscales, les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés ont pu demander, jusqu’au 31 décembre dernier, le dégrèvement du trop payé de CVAE en 2016 à raison de l’application des dispositions de l’article 1586 quater I bis précité sur le fondement de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Le remboursement de l’excédent de CVAE payé en 2017 est susceptible d’être réclamé par les sociétés concernées sur ce même fondement jusqu’au 31 décembre 2018.

La mesure nouvelle

Aux termes de son article 15 (repris sous l’article 1586 quater I bis modifié), la loi de finances pour 2018 réinstaure, en l’élargissant, ce dispositif de consolidation du chiffre d’affaires, lorsque la somme des chiffres d’affaires des sociétés membre du groupe (tel que défini ci-après) est supérieure à 7,63 M€. Ce nouveau dispositif s’applique à compter du 1er janvier 2018, donc à compter des impositions de CVAE établies au titre de 2018 (acomptes dus les 15 juin et 17 septembre 2018 par les entreprises dont la CVAE de 2017 est supérieure à 3 000 €).

Ainsi, à compter du 1er janvier 2018, dès lors qu’une entreprise remplit les conditions de détention, et seulement celles-ci, fixées à l’article 223 A du CGI pour être membre d’un groupe fiscalement intégré, le chiffre d’affaires à retenir pour déterminer son taux effectif d’imposition à la CVAE est la somme algébrique de son chiffre d’affaires et de ceux de toutes les entreprises qui satisfont aux mêmes conditions pour être membres du même groupe.

Ces conditions sont les suivantes pour l’entreprise dont on analyse la situation au regard de ce nouveau dispositif :

  • être liée aux entreprises concernées dans les conditions de détention prévues à l’article 223 A du CGI, même si les entreprises concernées ne sont pas membres d’un groupe fiscalement intégré (en l’absence d’option à cet effet) ;
  • quelle que soit la composition du capital des / de l’entreprises qui la détiennent ;
  • quelle que soit la date d’ouverture ou de clôture des exercices sociaux de ces entreprises ;
  • quel que soit leur lieu d’établissement (même si, bien entendu, seuls les chiffres d’affaires des sociétés ou entreprises établies en France devraient être retenus dans la somme algébrique prévue par le nouveau dispositif) ;
  • qu’elles soient soumises à l’impôt sur les sociétés (dans les conditions de droit commun ou non) ou soumises à un autre régime d’imposition ;
  • qu’elles bénéficient ou non d’une exonération d’impôt sur les bénéfices.

Au regard des dispositions en vigueur dans le cadre du dispositif précédemment sanctionné par le Conseil constitutionnel, ces conditions devraient être appréciées au 1er janvier de l’année d’imposition, mais il conviendra d’attendre confirmation de l’administration fiscale.

De manière générale, certaines précisions devant être apportées, on attendra avec intérêt les commentaires de l’administration fiscale dans un prochain BOFiP.

Toutefois, l’exemple proposé ci-après apporte d’ores et déjà un éclairage intéressant sur les conséquences financières de ce nouveau dispositif pour les groupes d’entreprises (au sens prévu pour l’application de ce dispositif).

Soit le groupe économique suivant, M3 et F4 ayant expressément opté pour constituer ensemble un groupe fiscalement intégré :

L’application du nouveau dispositif emporte la conséquence suivante.

Si, sous l’empire du dispositif censuré par le Conseil constitutionnel le 19 mai 2017, seules les sociétés M3 et F4 étaient tenues de déterminer leur taux d’imposition à la CVAE en additionnant leurs chiffres d’affaires respectifs mais y échappaient en raison d’un montant total inférieur à 7,63 M€, le nouveau dispositif en vigueur se traduit par la nécessité pour toutes les sociétés françaises du groupe concerné de respecter cette obligation !

Les conséquences financières de cette nouvelle règle sont donc les suivantes pour le groupe en question (compte tenu de l’exonération de CVAE dont bénéficient en pratique les sociétés / entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 500 K€, et de l’abattement de 1 000 € pour les sociétés / entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 2 M€ (art. 1586 quater II du CGI)) :

La cotisation totale de CVAE due par l’ensemble des sociétés françaises membres de ce groupe est donc majorée de manière importante, passant de 6 680 euros dans le cadre du dispositif censuré à 18 775 euros, à données constantes, dans le cadre du nouveau dispositif (soit une augmentation de plus de 181 % de cette cotisation totale dans cet exemple).

Même s’il convient d’attendre les commentaires de l’administration fiscale, comme indiqué ci-dessus, il est à craindre que la décision du Conseil constitutionnel du 19 mai dernier n’ait été pour les entreprises et sociétés une victoire à la Pyrrhus sur le plan financier.

Ce dispositif semble toutefois critiquable sur plusieurs de ses aspects, et une nouvelle vague de contentieux n’est pas à exclure.

Toutefois, dans l’attente, il convient d’analyser attentivement dès à présent les conséquences financières de ce nouveau dispositif pour tous les groupes dont les entreprises et sociétés membres, quelles que soient les modalités d’imposition de leurs résultats, leurs dates d’ouverture et de clôture, la composition de leurs capitaux sociaux respectifs, constatent des chiffres d’affaires dont la somme algébrique excède 7,63 M€, pour déterminer les cotisations de CVAE qui seront établies au titre de 2018 (et qui devront verser un premier acompte le 15 juin prochain).

Dans le même domaine