Professionnels exerçant en SEL : vigilance dès 2024 !

Publié le 3/04/2023

Tout d’abord, rappelons que dans une mise à jour du BOFiP du 15 décembre 2022, l'administration fiscale a revu sa doctrine et fixé un nouveau régime fiscal pour les associés dirigeants de sociétés d’exercice libéral (SEL) à compter du 1er janvier 2023, avec toutefois un report possible de mise en conformité au 1er janvier 2024.

Ensuite, l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées est venue réformer les sociétés d'exercice libéral, dont le texte de référence est à ce jour la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, et ce afin de clarifier leur règlementation et la rendre plus accessible tant aux non-avertis qu’aux professionnels du droit. La réforme prend effet le 1er septembre 2024.   

Pour rappel, les professionnels libéraux peuvent exercer leur activité sous forme de sociétés de capitaux, les sociétés d'exercice libéral (SEL).

Les SEL ont été créées par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 et ne constituent pas une forme sociale à part entière mais plutôt un statut législatif spécifique qui vient s’appliquer à une société de droit commun du fait de son objet social, tourné vers une profession libérale donnée et soumise à un statut législatif règlementé. 

 Ainsi, les SEL peuvent prendre la forme de :

  • Société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) ou SELARL unipersonnelle
  • Société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA)
  • Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS)
  • Société d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA).

Outre les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 précitée et celles des décrets d’application pris pour chaque profession concernée, les SEL se voient appliquer les règles édictées pour les sociétés commerciales concernées et sont soumises à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun.

Aussi, seules les professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, ou dont le titre est protégé, et pour lesquelles un décret d'application a été publié, peuvent constituer une SEL (notaire, pharmacien, architecte par exemple).

Les SEL ont connu un fort succès pour les professionnels libéraux souhaitant créer une synergie au sein d’une structure commune : nonobstant les contraintes liées à la composition du capital, au montant des comptes courants d’associés et aux obligations déclaratives, la SEL permet de limiter la responsabilité des associés aux dettes sociales à leurs apports (sauf cas particuliers des SELCA), de soumettre la structure à l’impôt sur les sociétés (contrairement à la SCP) et, plus généralement, offre un cadre juridique sécurisant assurant le contrôle de la structure par ses professionnels en exercice.

Avec la remise en cause du régime antérieur à la mise à jour BOFiP du 15 décembre 2022, l’administration fiscale a cependant créé une certaine insécurité pour les professionnels libéraux exerçant en SEL.

Avant la mise à jour BOFiP du 15 décembre 2022, une réponse « Cousin » de 1996 (BOI-RSA-GER-10 30) prévoyait que les rémunérations des associés d'une SEL qui y exerçaient leur activité libérale étaient intégralement imposés dans la catégorie des traitements et salaires (SELAS, SELAFA), ou assimilés comme tels au titre de l’article 62 du CGI (SELARL, SELCA).

Depuis le 1er janvier 2023, seule la rémunération du mandat social reste imposable comme avant : la rémunération de l’activité libérale (rémunération des fonctions « techniques ») devient quant à elle imposable par principe dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).

Par exception, s’il est établi un lien de subordination entre l’associé et la SEL au titre de l’exercice de sa profession libérale, la rémunération de l’activité libérale relèvera des traitements et salaires.

Cependant, l’administration fiscale n’a pas encore pris soin de préciser ce qu’il fallait entendre par « lien de subordination » dans un tel cadre et nul doute que ce lien sera difficile à établir, le professionnel libéral étant par essence indépendant dans l’exercice de son activité.

Ainsi, par exemple, pour les associés occupant les fonctions de gérant majoritaire de SELARL, les rémunérations de l’exercice de leur activité libérale dans la société n’entrent plus dans la catégorie de l’article 62 du Code général des impôts (imposition selon le régime des traitements et salaires), mais dans celle des BNC, dès lors que ces rémunérations dites « techniques » peuvent être distinguées de celles perçues au titre de leurs fonctions de gérant. A l’inverse, dans l’hypothèse où la rémunération de l'activité libérale du gérant majoritaire de SELARL ne pourrait être distinguée de celle perçue au titre du mandat de gérant, elle est imposée selon l'article 62 du CGI.

Suite à ce changement de doctrine fiscale et ses implications, bon nombre de professionnels libéraux exerçant en SEL ont indiqué ne pas être en mesure de se mettre en conformité dès le 1er janvier 2023. Un report de la mesure au 1er janvier 2024 a dans ce cadre été décidé par l’administration fiscale (BOFIP du 5 janvier 2023).

Néanmoins, il conviendra de savoir, d’ici cette date, pour les nombreuses SEL, quels sont les critères permettant de déterminer si la rémunération des fonctions « techniques » de l’associé gérant exerçant dans la structure en libéral peut être détachée de celle du mandat social, et dans un tel cas, comment calculer chaque quote-part correspondante et à travers quel dispositif contractuel et selon quel procédé comptable.

A ce jour, l’administration fiscale n’a pas apporté de compléments explicatifs pratiques sur ces sujets.

On aurait pu penser que l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées apporterait quelques précisions, mais tel n’est pas le cas.

Habilité par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, le Gouvernement a souhaité dans cette ordonnance « clarifier l’actuelle rédaction des dispositions législatives communément applicables aux professions libérales réglementées », soucieux d’ « un enjeu de développement pour ces professionnels qui pourront mieux utiliser les outils juridiques à leur disposition dans une logique entrepreneuriale » (extraits du rapport présenté par le Gouvernement au Président de la République).

Et, en effet, d’après le Ministère de l’Economie et des Finances, sur les 2,57 millions de professionnels exerçant en libéral en 2022, on répertorie 700 000 professionnels libéraux règlementés dont les regroupements représentent plus d’1,7 million d’entreprises, des TPE pour la plupart[1].

En cinq livres et 135 articles, l’ordonnance fait un tour d’horizon de l’ensemble des structures dédiées aux professions libérales réglementées et regroupe dans un même texte les dispositions (i) de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, (ii) de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de société des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et (iii) celles de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

L’ordonnance innove également en donnant en son article 1er, une définition des professions libérales réglementées, qu’elle regroupe ensuite via son article 2 en trois grandes familles : les professionnels de santé, les professionnels exerçant une activité juridique ou judiciaire, et les autres professionnels libéraux réglementés (professions techniques et du cadre de vie).

Le livre III de l’ordonnance traite spécifiquement des sociétés d’exercice libéral et instaure quelques nouvelles spécificités.  

Un changement majeur concerne les professions juridiques et judiciaires, qui ne pourront plus créer des sociétés de droit commun (telles que les SAS, SARL…) comme le leur permettait la loi dite « Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015 et devront donc reprendre dans leurs statuts les règles applicables en matière de gouvernance et de cession de titres applicables aux SEL, qui dérogent au droit commun. Les professionnels déjà en activité auront jusqu’au 31 août 2025 pour se mettre en conformité.

Également, l’obligation d’information annuelle sur la composition du capital à faire auprès de l’ordre dont relève la SEL est renforcée puisqu’elle devra, à partir du 1er septembre 2024, transmettre également la répartition de ses droits de vote, les statuts à jour et les conventions contenant des clauses sur l'organisation et les pouvoirs des organes de direction ayant fait l'objet d'une modification au cours de l'exercice écoulé (article 44 de l’ordonnance). Un décret propre à chaque profession, à paraître, doit préciser les modalités de cette nouvelle procédure d’information.

Autre nouveauté à l’article 53 de l’ordonnance : lorsque la SEL ne se conforme plus à ses règles de gouvernance (qui concernent les associés professionnels exerçant au sein de la structure), elle dispose désormais d’un délai un an pour se mettre en conformité. A défaut, tout intéressé pourra demander en justice la dissolution de la SEL, la juridiction saisie pouvant accorder un délai complémentaire de six mois pour une ultime régularisation.

Également, à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, les statuts de la SEL pourront contenir une clause de retrait du capital pour les associés personnes physiques n’exerçant plus au sein de la SEL depuis plus dix ans, ce retrait s’opérant par voie de réduction du capital de la SEL par rachat des titres de l’associé sortant (cette option étant auparavant réservée au cas des ayant droits de ces professionnels détenteurs de titres de la SEL depuis plus de cinq années) : article 51 de l’ordonnance.

De manière plus générale, l’article 57 de l’ordonnance permet de définir, dans les statuts d’une SEL, à compter du 1er septembre 2024, des modalités de retrait des associés sous réserve toutefois qu'aucun texte propre à chaque profession ne prévoit de dispositions particulières à ce sujet.

A noter également, un net assouplissement des règles encadrant les comptes courants d’associés puisque, à partir du 1er septembre 2024, seules les SEL exerçant une profession de santé pourront être concernées par des décrets venant réglementer leur fonctionnement, avec notamment un plafond de dépôt (articles 68 et 73).

Enfin, les articles 68 à 90 de l’ordonnance prévoient d’autres dispositions spécifiques pour ces mêmes professionnels de santé exerçant en SEL, applicables à compter du 1er septembre 2024 (restrictions liées à l’émission d’actions avec droit de vote double, procédure de vote des conventions règlementées.

Professionnels libéraux, le cabinet LAWREA peut vous accompagner et anticiper avec vous vos problématiques d’activité liées au changement de cadre juridique et fiscal des SEL pour 2024.

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